L'exception thérapeutique

La dernière mise à jour de cette page date du 27/02/2020.

Note préliminaire. Le présent texte porte sur l’exception thérapeutique telle que consacrée par la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, qui s’applique aux psychologues cliniciens depuis le 1er septembre 2016. Cette analyse vise uniquement à fournir à ces derniers une information de qualité sur des règles juridiques actuellement en vigueur. Notez également que, par une loi datée du 30 octobre 2018 modifiant la loi relative aux droits du patient, le législateur s’est à nouveau saisi de la question de l’exception thérapeutique, mais qu’il n’a pas estimé devoir adapter les règles en la matière.

Cas pratique

Suite à un grave accident de voiture, un patient souffre, depuis plusieurs années, d’un trouble de l’attention et d’un trouble dépressif majeur. Il effectue des séances de rééducation chez un neuropsychologue clinicien. Il reçoit parallèlement un traitement médicamenteux prescrit par un psychiatre, qui travaille en étroite collaboration avec le neuropsychologue clinicien.

Suite notamment au décès d’un proche, l’état psychique du patient se dégrade rapidement et fortement. Le patient manifeste même, à plusieurs reprises et dans des contextes différents, la volonté de mettre un terme à son existence. Ces propos sont pris très au sérieux par les soignants qui le prennent en charge. Le neuropsychologue clinicien craint même un passage à l’acte, plus spécialement si le patient est confronté à des nouvelles de nature à chambouler son cadre de vie actuel ou à limiter davantage ses perspectives d’avenir.

Vu les événements vécus récemment par le patient sur le plan personnel et la grande vulnérabilité psychologique de ce dernier, le neuropsychologue clinicien entend ne pas l’informer – temporairement – des résultats du dernier bilan cognitif réalisé. En raison des très faibles perspectives d’amélioration notable du fonctionnement du patient dans la vie quotidienne et de son bien-être psychique à moyen ou même à long terme, le neuropsychologue clinicien est convaincu que ces données pourraient l’amener à poser un acte irréparable.

La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient reconnaît expressément au patient le droit d’être informé sur son état de santé – et sur l’ « évolution possible » de cet état (art. 7). Elle prévoit toutefois deux tempéraments ou exceptions à ce principe. Il s’agit du droit « de ne pas savoir »[1](art. 7, § 3) et de l’ « exception thérapeutique » (art. 7, § 4). Cette dernière exception permet au psychologue clinicien de ne pas communiquer au patient des informations lorsque leur prise de connaissance est susceptible de lui causer préjudice. Dans cette hypothèse, la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient prévoit également des règles particulières pour la consultation et la copie du dossier du patient (art. 9, § 2, al. 5).

Le présent texte développe les questions suivantes :

Deux points méritent d’être précisés avant de répondre à ces questions.

L’exception thérapeutique constitue une exception au droit du patient à l’information, mais pas au droit au consentement libre et informé à toute intervention portant sur sa personne. Vous ne pouvez donc pas invoquer l’exception thérapeutique pour entreprendre des démarches à l’égard de votre patient sans l’avoir préalablement informé sur vos intentions.

Par ailleurs, si vous êtes confronté à une situation où vous ne pouvez pas invoquer l’exception thérapeutique, rien ne vous empêche de mobiliser d’autres règles juridiques et déontologiques pour ne pas communiquer certaines informations sensibles à votre patient. Vous pouvez, par exemple, invoquer l’état de nécessité[2]– pour autant évidemment que vous en respectiez les conditions.

Quelles sont les informations susceptibles d’être couvertes par l’exception thérapeutique ?

Comme l’indique la loi relative aux droits du patient, vous ne pouvez invoquer l’exception thérapeutique que pour les informations dont la « communication risque[rait] de causer manifestement un préjudice grave à la santé du patient » (art. 7, § 4, al. 1).

Aussi, pour être couvertes par l’exception thérapeutique, les informations doivent répondre à trois conditions cumulatives :

1° - Vous ne pouvez invoquer l’exception thérapeutique que si le risque lié à la communication des informations concerne la santé du patient – et non celle d’un tiers.

La notion de « santé » est ici entendue de manière très générale. Elle ne se limite pas au bien-être physique, mais vise également le bien-être psychique et même social[3].

2° - La loi relative aux droits du patient exige que le risque encouru par le patient soit « manifeste ». Elle ne définit pas malheureusement le sens de ce terme, pas plus d’ailleurs que les travaux préparatoires. Il n’en reste pas moins évident que vous ne pouvez invoquer l’exception thérapeutique si la réalisation du risque n’est qu’une pure éventualité.

3° Le préjudice auquel est exposé le patient, en cas de communication des informations, doit être « grave ». La loi relative aux droits du patient ne précise pas cette exigence. Quant aux travaux préparatoires, ils ne sont pas davantage éclairants.

Pour apprécier si les deux dernières exigences sont ou non rencontrées, vous ne perdrez pas de vue le caractère « exceptionnel » de l’exception thérapeutique, que le législateur a expressément inscrit dans le texte de loi (art. 7, § 4, al. 1). Le principe est et reste l’information du patient.

Quelles sont les modalités que vous devez respecter pour pouvoir recourir à l’exception thérapeutique ?

Le seul risque de « causer manifestement un préjudice grave à la santé du patient » ne suffit pas pour invoquer l’exception thérapeutique. Vous devez également, parallèlement aux constats que vous posez, prendre un certain nombre d’initiatives.

1° - Si vous envisagez d’invoquer l’exception thérapeutique pour ne pas communiquer des informations, vous devez « consult[er] préalablement un autre praticien professionnel » dans le respect du secret professionnel au sens de la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé (art. 7, § 4, al. 1).

Ce praticien professionnel peut être un psychologue clinicien, mais aussi, par exemple, un médecin généraliste ou un psychiatre. Il vous est néanmoins vivement recommandé de consulter un praticien professionnel ayant la formation et l’expérience requises pour appréhender pleinement la situation à laquelle vous êtes confronté. Vous n’êtes pas obligé, faut-il le souligner, de suivre l’opinion de ce confrère, mais seulement de consulter ce dernier. Son point de vue viendra alimenter votre réflexion et vous aidera à déterminer si vous êtes ou non dans la situation visée par la loi. Cette consultation peut prendre place, le cas échéant, dans le cadre d’une supervision ou d’une intervision dans le respect du secret professionnel.

Pour le choix du praticien professionnel, vous éviterez de consulter un professionnel qui entretient déjà une relation thérapeutique avec le patient si ce professionnel n’a pas ou peu connaissance des éléments concernés par l’exception thérapeutique afin de respecter l’intimité du patient et de ne pas interférer avec sa prise en charge par d’autres praticiens professionnels.

2° - Par ailleurs, quand vous estimez devoir invoquer l’exception thérapeutique, vous en faites mention par écrit dans le dossier du patient. Vous motivez à cette occasion votre décision (art. 7, § 4, al. 2). En d’autres termes, vous faites état de tous les éléments, en ce compris la consultation d’un confrère, qui sont de nature à justifier votre choix.

Enfin, si le patient a désigné une personne de confiance, la loi relative aux droits du patient vous impose de l’en informer (art. 7, § 3, al. 2). Cette règle est d’application même si cette personne n’est pas un praticien professionnel. Informer la personne de confiance est également l’occasion de mieux saisir, au travers de ses réactions, la situation du patient et, le cas échéant, d’adapter votre attitude en conséquence.

Il importe de prendre ces trois différentes initiatives au moment où la situation à risque se présente à vous et non pas ultérieurement, par exemple une fois seulement que le patient manifeste son intention d’exercer son droit à l’information ou son droit à la consultation ou à la copie de son dossier.

Dans quelles limites pouvez-vous invoquer l’exception thérapeutique ?

Il convient d’insister sur le caractère temporaire et personnel de l’exception thérapeutique. Celle-ci se justifie au regard des risques particuliers qu’encourt le patient en cas de communication des informations.

Aussi, dès le moment où il n’y a plus de risque manifeste de préjudice grave à la santé, vous devez communiquer ces informations au patient (art. 7, § 4, al. 3).

Par ailleurs, vous ne pouvez invoquer l’exception thérapeutique qu’à l’égard du patient lui-même, qui encourt les risques. Vous ne pouvez donc pas en faire état pour ne pas informer d’autres personnes qui y ont droit, par exemple les parents d’un mineur incapable d’apprécier raisonnablement ses intérêts.

Quelles sont les incidences de l’exception thérapeutique lorsque votre patient souhaite accéder au dossier qui le concerne ?

La loi relative aux droits du patient reconnaît au patient le droit de consulter le dossier qui le concerne (art. 9, § 2) et d’en obtenir une copie (art. 9, § 3).

La consultation du dossier du patient est soit directe, soit indirecte. Quand la consultation est directe, le patient lui-même consulte le dossier. Il peut, dans ce cas, se faire assister par une personne de confiance qu’il désigne. Quand la consultation est indirecte, le patient ne prend pas connaissance en personne du dossier. C’est la personne de confiance que le patient désigne qui s’en charge.

La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient soumet certaines catégories de données à des règles particulières en matière d’accès - à savoir lorsque ces données concernent des tiers ou quand elles sont couvertes par une exception thérapeutique. Dans le premier cas, la loi exclut tout simplement leur consultation (art. 9, § 2, al. 3). Par contre, pour la seconde catégorie de données, à savoir celles couvertes par une exception thérapeutique, vous y donnez accès de manière indirecte, par l’entremise d’une personne de confiance qui a la qualité de praticien professionnel au sens de la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé (art. 9, § 2, al. 5). Cette personne ne doit donc pas forcément être un psychologue. Il peut s’agir, par exemple, du médecin ou du psychiatre traitant. Ce choix est laissé à la libre appréciation du patient. Ceci étant, vous pouvez indiquer à votre patient l’intérêt de faire appel à un professionnel qui a la formation et l’expérience requises à la fois pour avoir une bonne compréhension du dossier et pour échanger – ou non – des éléments d’information d’une manière appropriée.

A s’en tenir aux termes de la loi, vous ne pouvez en principe invoquer l’exception thérapeutique pour vous opposer à un accès direct au dossier que si celui-ci contient déjà une motivation faisant état de cette exception – ce qui suppose également que, par le passé, vous ayez également consulté un autre praticien professionnel à ce sujet. On ne peut que réinsister, à cet égard, sur la nécessité de tenir soigneusement à jour un dossier pour chacun de vos patients.

Ces règles en matière de consultation du dossier du patient valent également pour ce qui est de l’obtention d’une copie (art. 9, § 3, al. 1). Par ailleurs, la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient impose qu’il soit précisé « sur chaque copie » que celle-ci est « strictement personnelle et confidentielle » (art. 9, § 3, al. 1). Elle prévoit également que le praticien professionnel refuse de donner la copie « s’il dispose d’indications claires selon lesquelles le patient subit des pressions afin de communiquer une copie de son dossier à des tiers » (art. 9, § 3, al. 2).

Les règles en matière d’exception thérapeutique sont-elles conformes au RGPD ?

Les règles relatives à l’exception thérapeutique, même en ce qu’elles prévoient une consultation ou une copie du dossier du patient par l’intermédiaire d’un praticien professionnel désigné par le patient, sont bien conformes au Règlement général sur la protection des données (ci-après « RGPD »[4]).

Certes, le RGPD pose comme principe celui de l’accès direct aux données à caractère personnel par la personne concernée par le traitement de données[5](art. 15). Cependant, le RGPD reconnaît parallèlement aux Etats membres la faculté de prévoir des limitations aux droits et obligations que cet instrument européen établit (art. 23). Le parlement fédéral a fait usage de cette prérogative en adoptant la loi du 30 octobre 2018 portant des dispositions diverses en matière de santé (art. 69), qui vient modifier la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient. Celle-ci précise dorénavant, de manière explicite, que les règles relatives à l’exception thérapeutique sont bien en conformité avec le RGPD (plus précisément son article 23).

Références

[1] En exerçant le droit « de ne pas savoir » que lui reconnaît la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, ce dernier refuse de recevoir des informations qui le concernent. Ce droit constitue un tempérament à la fois au droit du patient à être informé sur son état de santé et de son évolution probable (art. 7) et au droit du patient à consentir à toute intervention concernant sa personne (art. 8). Ce droit « de ne pas savoir » connaît une limite importante prévue par la loi du 22 août 2002 elle-même, à savoir lorsque « la non-communication [des] informations […] cause[rait] manifestement un grave préjudice à la santé du patient ou de tiers » (art. 7, § 3, al. 1 ; voy. égal. art. 8, § 3) – moyennant également le respect de plusieurs conditions : consultation préalable d’un autre praticien professionnel, audition de la personne de confiance, consignation ou ajout de la demande du patient dans le dossier de ce dernier. Cette exception est souvent présentée dans la doctrine comme une autre déclinaison de l’exception thérapeutique.

[2] Hausman, J.-M., & Schamps, G. (reds.). 2016. Aspects juridiques et déontologiques de l’activité de psychologue clinicien. Bruxelles: Bruylant, p. 102.

[3] Hausman, J.-M., & Schamps, G. (reds.). 2016. Aspects juridiques et déontologiques de l’activité de psychologue clinicien. Bruxelles: Bruylant, p. 102.

[4] L’intitulé exact est le suivant: Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

[5] Voy. art. 15


 
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